Entendre « Dieu dans la musique » : Dizzy Gillespie aurait eu 100 ans cette année.

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NEW YORK, publié le 6 octobre 2017 – On se souvient de Dizzy Gillespie non seulement comme d’un trompettiste de génie qui a innové dans le jazz mais aussi pour son dévouement de longue date aux enseignements de Bahá’u’lláh. On ne peut revenir sur la vie et les accomplissements de cette figure emblématique, cent ans après sa naissance, sans évoquer cette conviction bahá’íe qui semblait le plus inspirer et conduire son travail : tous les êtres humains font partie d’une même famille.

Dizzy Gillespie, qui aurait eu cent ans ce mois-ci, était un musicien américain dont on se souvient comme de l’un des plus grands trompettistes de jazz de tous les temps. (Photo publiée avec l’aimable autorisation de Roland Godefroy, Wikimedia Commons)
Dizzy Gillespie, qui aurait eu cent ans ce mois-ci, était un musicien américain dont on se souvient comme de l’un des plus grands trompettistes de jazz de tous les temps. (Photo publiée avec l’aimable autorisation de Roland Godefroy, Wikimedia Commons)

« Dizzy a représenté une percée organique en musique », affirme le pianiste de jazz Mike Longo à propos de Dizzy Gillespie, son dernier collaborateur et ami.

« Sa musique est tellement profonde », dit Longo, en contemplant les murs de son appartement sur Riverside Drive, dans l’Upper West Side de Manhattan. Des photographies encadrées illustrent les décennies d’un partenariat musical allant de concerts à guichets fermés dans de grandes salles à des séances de répétition privées chez Gillespie à Englewood, de l’autre côté de l’Hudson River.

Mais le jazz n’était pas la seule raison de l’amitié durable de Gillespie et Longo. Les deux hommes étaient attirés par le message d’unicité et d’unité de Bahá’u’lláh, principes qui les conduiraient à embrasser la religion bahá’íe.

« C’est le soir où j’ai rejoint le groupe qu’il a entendu parler de la foi bahá’íe », dit Longo.

Quand Gillespie a rencontré la foi bahá’íe pour la première fois, après un concert à Milwaukee, il a tout de suite senti qu’elle faisait écho à sa pensée et à sa musique.

« Le jazz est basé sur les mêmes principes que la foi bahá’íe, dit Longo. Le mixage interracial remonte au début du jazz. Dizzy a décrit le jazz comme un mariage entre le rythme africain et l’harmonie européenne et, si vous regardez cela d’un point de vue plus large, c’est donc un mariage entre la race noire et la race blanche. Et particulièrement la musique de Dizzy, quand on dit que le Prophète libère un nouveau pouvoir dans l’univers, le concept de bebop de Dizzy… est un reflet de cela. »

L’engagement profond de Gillespie envers l’unité et la justice s’est exprimé dans l’esprit d’inclusion qui a caractérisé sa musique et ses interactions avec les gens de tous les horizons.

Pionnier du bebop

Gillespie en 1985, lors d’une visite au Centre mondial bahá’í.
Gillespie en 1985, lors d’une visite au Centre mondial bahá’í.

Né John Birks Gillespie le 25 octobre 1917 à Cheraw (Caroline du Sud), Dizzy Gillespie était à la pointe du phénomène jazz bebop dans les années 1940, musique souvent considérée comme la plus radicale et la plus importante de son temps. Le bebop se caractérise par ses tempos très énergiques et ses changements rapides de touches, ses progressions d’accords complexes et ses improvisations éblouissantes autour d’une mélodie.

« Ils faisaient des choses très difficiles, explique Martin Gayford, le critique britannique d’art et de jazz. La technique de Gillespie a effrayé d’autres trompettistes, en particulier parce qu’il jouait si haut. »

« Alors que Charlie Parker a apporté le phrasé et l’approche rythmique, la contribution de Gillespie a été davantage l’aspect technique de l’harmonie et un grand sens du spectacle.

« Les photographies de Dizzy, avec son béret et sa barbiche, sont typiques de l’ère bebop », explique Gayford.

Cette personnalité dynamique et cette virtuosité extraordinaire, avec ses joues caractéristiques de crapaud-buffle autour de l’embouchure de sa trompette coudée, font de Gillespie un exemple difficile à suivre pour les trompettistes d’aujourd’hui.

Gillespie en 1985, lors d’une visite au Centre mondial bahá’í.
Gillespie en 1985, lors d’une visite au Centre mondial bahá’í.

« Quand, à l’âge de 8 ans, j’ai entendu pour la première fois un enregistrement de sa musique, j’ai été stupéfait de ce qu’une trompette pouvait faire », raconte James Morrison, célèbre musicien australien qui dirigeait un concert d’hommage au Royal Albert Hall de Londres, le 4 août 2017, dans le cadre de la célèbre saison de concerts BBC Proms.

« J’ai toujours été inspiré par sa façon de jouer de la trompette, déclare Morrison. Je suis très influencé par lui. »

Morrison, qui a joué à plusieurs reprises avec Gillespie, est persuadé que sa personnalité extravertie a contribué à rendre sa musique innovante beaucoup plus accessible.

« Il repoussait toujours les limites, tout en étant très accessible en tant que personne. Un cliché prétend qu’un novateur doit être sombre et mélancolique, isolé dans son propre univers. Mais Dizzy était très volubile et avait un très bon contact avec le public. »

Rencontre avec la foi bahá’íe

C’est d’ailleurs un membre du public qui a présenté la foi bahá’íe à Gillespie. Beth McKenty, une Canadienne qui a assisté à l’un de ses spectacles à Milwaukee, a eu envie de le contacter après la mort tragique de Charlie Parker, le co-créateur du bebop. Le saxophoniste Parker a même affirmé que Gillespie était « l’autre moitié de son cœur ». Il est décédé en 1955 à l’âge de 34 ans, après une longue période de toxicomanie.

« Beth avait appelé Dizzy et lui avait dit : « Charlie Parker n’aurait pas dû mourir comme ça »et elle a demandé à lui parler, se souvient Longo. Cette nuit-là, elle et son mari sont donc arrivés et Dizzy s’est assis à table avec eux ; elle lui a parlé de la foi bahá’íe et lui a donné beaucoup de textes à lire. »

En l’honneur du 100e anniversaire de la naissance de Dizzy Gillespie, ses contributions au jazz sont célébrées par de nombreux concerts d’hommage dans le monde entier. Ici, la chanteuse Dianne Reeves et le trompettiste James Morrison se produisent avec le James Morrison Trio et le BBC Concert Orchestra sous la direction de John Mauceri au BBC Proms 2017. (Photo avec la permission de la BBC)
En l’honneur du 100e anniversaire de la naissance de Dizzy Gillespie, ses contributions au jazz sont célébrées par de nombreux concerts d’hommage dans le monde entier. Ici, la chanteuse Dianne Reeves et le trompettiste James Morrison se produisent avec le James Morrison Trio et le BBC Concert Orchestra sous la direction de John Mauceri au BBC Proms 2017. (Photo avec la permission de la BBC)

Après une période de lecture et d’étude intenses, Gillespie a officiellement accepté la foi bahá’íe le 5 avril 1968, la nuit suivant l’assassinat du défenseur des droits civiques, Martin Luther King Jr. Le musicien a été attiré par l’importance accordée dans les enseignements de Bahá’u’lláh à l’unité, en particulier par leur affirmation de l’harmonie de la science et de la religion, de l’égalité des femmes et des hommes et de l’unité de l’humanité.

« Lui et moi étions tous les deux très affectés par la situation raciale ici avec toutes les émeutes et tout, dit Longo. Nous étions en train d’en parler et j’ai dit : «  Ces choses-là ne devraient pas arriver », et je me souviens que nous disions : « Il doit y avoir quelqu’un qui représente ce que nous ressentons », et c’est à ce moment-là qu’il a découvert la Foi. »

Gillespie a écrit dans son autobiographie, To Be or Not to Bop : « Quand j’ai rencontré la foi bahá’íe, tout a été en accord avec ce que j’avais toujours cru. Je croyais en l’unicité de l’humanité. Je croyais que nous venons tous de la même source, qu’aucune race n’est intrinsèquement supérieure à une autre.

« Dizzy était à l’écoute », précise Longo.

Gillespie s’intéressait depuis longtemps à l’exploration des rythmes et des harmonies de différentes cultures, et Longo croit que sa musique a encore plus évolué après avoir accepté les enseignements bahá’ís.

Le trompettiste James Morrison joue avec le James Morrison Trio et le BBC Concert Orchestra sous la direction de John Mauceri aux BBC Proms de 2017. (Photo avec la permission de la BBC)
Le trompettiste James Morrison joue avec le James Morrison Trio et le BBC Concert Orchestra sous la direction de John Mauceri aux BBC Proms de 2017. (Photo avec la permission de la BBC)

« Il est devenu plus profond, dit-il. Si vous écoutez ses enregistrements de façon chronologique, quand il a embrassé la tendance afro-cubaine, sa musique a beaucoup gagné en profondeur… Elle s’est élevée à un niveau mondial. Et si vous la mettez dans le contexte de la Foi, c’était une image de tous les gens qui se rassemblent, elle a atteint un niveau aussi proche que possible de la perfection qu’un être humain puisse atteindre. »

Devenir bahá’í a influencé la vie de Gillespie de toutes les façons. Il a écrit que cela lui avait donné « un nouveau concept de la relation entre Dieu et l’homme – entre l’homme et son prochain – l’homme et sa famille ».

« Je suis devenu plus conscient spirituellement et, quand vous êtes conscient spirituellement, cela se reflétera dans ce que vous faites », a écrit Gillespie.

Et les musiciens de jazz, pensait Gillespie, étaient parmi « les gens les plus en accord avec l’Univers. »

Dizzy Gillespie salue Saichiro Fujita, personnalité éminente de l’histoire bahá’íe et l’un des premiers bahá’ís japonais. Cette photographie a été prise au Centre mondial bahá’í en 1975. Gillespie a donné un concert lors de sa visite à Haïfa cette année-là.
Dizzy Gillespie salue Saichiro Fujita, personnalité éminente de l’histoire bahá’íe et l’un des premiers bahá’ís japonais. Cette photographie a été prise au Centre mondial bahá’í en 1975. Gillespie a donné un concert lors de sa visite à Haïfa cette année-là.

« Quoi de plus approprié qu’un musicien en accord avec la nature et notre Créateur ? écrivait-il. Le meilleur exemple est la manière dont ils jouent : comment trouvent-ils ces notes qui n’avaient jamais été jouées avant ? D’où viennent-elles ? Où les ont-ils trouvées ? Ils ont forcément une sorte d’inspiration divine. »

Longo en convient. « Cette musique ne vient pas de la pensée. Vous ne pouvez pas penser et jouer en même temps. Elle vient de derrière le mental, donc il y a là derrière une sorte de lieu de bonheur qui est totalement spirituel. C’est la force vitale de notre musique. C’est vrai de tous les arts ainsi que des sciences. Le pouvoir que Bahá’u’lláh a libéré est cette force vitale des arts.

« Dizzy a dit, « Ce que vous entendez dans la musique, c’est Dieu. »

L’orchestre des Nations unies

Deux nouvelles peintures murales de Dizzy Gillespie ont été récemment réalisées à Harlem dans le cadre de L’éducation n’est pas un crime, une campagne d’arts de la rue qui vise à sensibiliser aux droits de l’homme en Iran.
Deux nouvelles peintures murales de Dizzy Gillespie ont été récemment réalisées à Harlem dans le cadre de L’éducation n’est pas un crime, une campagne d’arts de la rue qui vise à sensibiliser aux droits de l’homme en Iran.

« Gillespie a été présent très longtemps, témoigne Martin Gayford, depuis les années 1940 jusqu’aux années 1990. Il est par conséquent devenu une sorte de doyen du jazz et un grand encouragement pour les jeunes talents. »

La fusion la plus ambitieuse et la plus aboutie de sa musique avec ses convictions religieuses a été la formation par Gillespie de son orchestre des Nations unies avec lequel il a fait une tournée mondiale dans les années quatre-vingt. Le principe bahá’í de construction de l’unité qui préserve et célèbre la diversité culturelle est la principale source d’inspiration de Gillespie pour créer ce grand groupe composé de jeunes musiciens des États-Unis et de joueurs et de chanteurs exceptionnels du Brésil, de Cuba et du Panama.

« C’est ce en quoi il croyait, dit Longo, et c’était le principe de l’orchestre des Nations unies. »

« Dans la religion bahá’íe, nous ne croyons pas qu’il faut abandonner ce qui est bien, a écrit Gillespie. Abandonner notre héritage ? Non. Les bahá’ís croient qu’on l’apporte avec soi et qu’on travaille avec les autres. Ajoutez-le à l’ensemble, exactement comme pour une peinture de maître. Parce que je suis pourpre et qu’il y a un autre type qui est orange, cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas entrer dans une sorte de grande complémentarité compatible. Participez simplement avec votre propre unicité, mais n’essayez pas d’imiter les autres. Restez vous-mêmes !

Un héritage durable

Ces deux nouvelles peintures murales à Harlem ont été réalisées pour célébrer le centième anniversaire de la naissance de Dizzy Gillespie en octobre 1917.
Ces deux nouvelles peintures murales à Harlem ont été réalisées pour célébrer le centième anniversaire de la naissance de Dizzy Gillespie en octobre 1917.

Depuis sa mort en 1993 à l’âge de 75 ans, Dizzy Gillespie continue d’être révéré par les passionnés du monde entier. Sa musique est devenue l’objet d’études académiques et de symposiums, ses enregistrements sont constamment remastérisés, réédités et redécouverts par les jeunes générations. Au cours des prochains mois, des concerts d’hommage auront lieu dans le monde entier, cent ans après sa naissance.

« Quand on rend hommage à quelqu’un, on peut se poser cette question : est-ce qu’on l’imite ? déclare James Morrison. Et je crois que non, concernant la sonorité. Il y a des Dizzy-ismes reconnaissables dans ce qu’on joue, mais un vrai hommage consiste à créer l’ambiance. On aurait dit qu’il faisait toujours la fête et qu’il l’apportait sur scène. J’ai toujours pensé que c’était ce que je voulais faire moi aussi. »

Mais Mike Longo croit que la musique de Gillespie n’est toujours pas entièrement comprise. Lors des funérailles du trompettiste en 1993, Longo a déclaré à la congrégation que « beaucoup de gens savent ce que Dizzy a joué mais ils ne savent pas comment il l’a joué ».

« Actuellement, la plupart des enseignants et d’autres l’imitent. Ils ne comprennent pas le concept, ils ne comprennent que les notes. Alors, ils imitent les notes et ils essaient d’imiter la sensibilité, mais ils n’atteignent toutefois pas l’essence. Donc, il n’est pas encore pleinement apprécié. »

« Il pourrait se passer encore cent ans avant que ça arrive », affirme Longo en riant.

 

Saichiro Fujita signe un livre de Dizzy Gillespie en 1975.
Saichiro Fujita signe un livre de Dizzy Gillespie en 1975.

POUR APPRONFONDIR : Ecoutez une interview accordée par Mike Longo

Robert Weinberg est un journaliste qui a récemment rencontré Mike Longo, l’ami et partenaire de longue date de Dizzy Gillespie, pour parler de la vie de Gillespie en tant que musicien pionnier du jazz et membre de la foi bahá’íe. Toutes les musiques présentées sur le podcast proviennent d’un concert donné par Longo et Gillespie à Osaka, au Japon, en 1987 et elles ont été fournies par Mike Longo. Pour écouter cette émission ou l’enregistrer, veuillez cliquer sur ce lien : http://news.bahai.org/story/1204/

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