La maladie

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Ce texte n’engage que son auteur et ne représente pas une position officielle des bahá’ís de France

Je veux pas l’attraper !

Je veux pas !

J’ai mal au ventre depuis que je sais, j’ai la fièvre aussi…

Comment je vais faire si je suis malade ?

Je crois qu’il va falloir que je quitte maman et papa, et Sina. Je veux pas qu’ils le sachent. Je veux pas voir maman pleurer quand elle saura que je l’aie. Mais j’ai la fièvre et le mal de ventre, alors c’est sur que je l’aie.

Maryam, elle me l’avait dit. Elle m’avait dit « c’est pas héréditaire, mais c’est quand même contagieux. T’as de la chance, ton père l’a pas. Mais si tu l’attrapes, ça risque de te tuer ».

Alors héréditaire, je me suis renseignée. Ca s’attrape dans la famille.

Contagieux, ça s’attrape de dehors. Maryam, elle m’a conseillé de toujours bien me laver les mains quand je touchais les affaires des autres, quand je suis dehors. Pas pour les affaires de ma famille, parce que c’est pas héréditaire.

Mais Maryam, elle m’a aussi dit que si je l’aie, on pourra pas rester amies. Ses parents voudront pas. Je comprends, je ne voudrais pas qu’elle aie ma maladie. C’est contagieux. Et Maryam, c’est ma meilleure amie.

D’ailleurs, la preuve que c’est contagieux, c’est que ma grand- mère l’a.

Maryam, elle me l’a dit hier à la récré. Quand je suis allée chez grand-mère, après l’école, je l’ai regardé de près. Elle est vieille. C’est peut- être ça ?

Mais la grand- mère de Maryam aussi, elle est vieille. Elle m’aime pas trop, elle me parle pas quand elle vient rechercher Maryam à l’école, elle a un regard méchant.

Ma grand- mère à moi, elle est gentille. Elle sourit mais elle a le regard triste.

Ma tante Farah aussi elle l’a. Mais je sais pas si elle est triste. Elle est partie à l’étranger. Elle a été contaminée quand elle était jeune. Ca l’a empêchée de faire ses études. Elle devait plus quitter son lit, je pense. Elle est quand même partie malgré ça, et on l’a jamais revu. Juste une photo dans le salon de grand- mère. Elle était jolie tante Farah avant la maladie.

Mon oncle est parti aussi, mais lui il est revenu. On le voit pas beaucoup, papa veut pas trop qu’on le voit. Il était tellement malade que pour pas contaminer toute la population, la police l’a mis en quarantaine en prison. Ca a duré longtemps mais maintenant qu’il est sorti, il doit aller mieux. Alors c’est tant mieux.

Maryam, elle dit que sa grand-mère a dit que ma mère l’a attrapé aussi, mais qu’elle et papa font semblant que tout va bien, qu’ils sont en bonne santé.

Je veux pas faire de la peine à papa et maman en l’attrapant. Je me suis lavée les mains en rentrant de l’école.

Peut-être j’aurais du prier plus fort pour pas l’attraper la Foi baha’ie ? Il paraît que ceux qui l’ont s’en remettent jamais tout à fait.

Mon père l’a pas attrapé. Je devrais lui demander comment il a fait. Mais non, après il va avoir des doutes, il va s’en apercevoir que je suis malade. Et il sera malheureux.

Papa, il a pas de parents. Je sais pas si ses parents l’ont eue la maladie. Il dit, mon père, qu’il a des parents. Je crois que c’est pas vrai, il en a pas. A l’école, dans un livre, j’ai lu que des enfants, ailleurs, ils pensent que leur père qui s’appelle Noël existe alors qu’il existe pas. C’est pareil pour les parents de mon père, ils existent pas, et ils ne donnent pas de cadeaux dans les cheminées.

Papa, il est musulman. C’est peut-être pour ça qu’il est pas malade ? Peut- être que si moi aussi je suis musulmane, j’attraperai pas la Foi baha’ie ?

Tiens, il y a du bruit dans le salon. Papa et maman doivent s’en être aperçus, c’est sur. Maman, elle voit tout. Elle l’a tout de suite vu quand j’ai eu la rougeole l’année dernière.

Peut- être que c’est la police qui vient me chercher comme pour le frère de maman ? Je voulais pas tomber malade. Et maintenant les pas s’approchent de ma chambre. Si je suis malade, alors je veux pas contaminer ma famille, il vaut mieux que j’y aille en prison, ou alors à l’étranger, c’est mieux comme ça.

La voix de papa est maintenant dans la chambre de Sina. J’entends le docteur aussi. Sina, il a attrapé la Foi aussi ? Ce matin, il avait l’air bizarre quand il buvait sa tasse de thé, c’est vrai. C’est moi qui l’aie contaminé ? Ca finit par avoir l’air héréditaire quand même !

Je vais aller voir Sina pour lui demander de m’excuser de l’avoir rendu malade.

Maman, elle a les yeux rouges. La Foi baha’ie, c’est très grave. Maryam avait raison.

Le docteur s’est tourné vers moi. Il a vu. Il a vu que moi aussi.
– Comment tu vas, Mona ?

Il paraissait fatigué.

J’ai pas répondu. De toute façon, il s’est vite retourné vers Sina. Il touchait son ventre. Moi aussi, j’ai une boule dans le ventre.

Papa, il a pris la main de maman. J’ai fait un pas en arrière pour aller dans ma chambre pour écrire une lettre à Maryam parce que je la verrai pas demain à l’école, je pars en prison.

Et le médecin, il a dit « je crois que c’est l’appendicite ».

L’appendicite, ça doit être le mot savant pour la Foi baha’ie.

Maman semblait soulagée. Papa aussi.

Bon, bah, la Foi baha’ie, alors, c’est pas si grave.

« On va l’emmener à l’hôpital. On va l’opérer demain et d’ici une semaine, il sera de retour à la maison, comme avant ».

Je vais le dire à Maryam qu’on peut vivre avec la Foi baha’ie, que le médecin est optimiste, que j’irai peut-être à l’hôpital comme Sina, mais même si elle, elle a pas la Foi, on pourra rester amies.

Carine D.M., Mars 2009

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