Les baha’is de l’Iran sont en danger et leur jeunesse interdite de s’instruire

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Ce texte n’engage que son auteur et ne représente pas une position officielle des bahá’ís de France

Les baha’is de l’Iran sont en danger et leur jeunesse interdite de s’instruire

Cela dure depuis plus d’un an. A l’heure de la prière matinale, dans des cours d’école de la République islamique d’Iran, des maîtres et des maîtresses injurient, humilient et se moquent des enfants de famille baha’ie devant leurs camarades, pour les amener à renier la religion de leurs parents. Ces enseignants obéissent à une directive du ministère de l’Education et de l’Instruction, datée de l’automne 2006.

Ces scènes d’un autre âge me rappellent des souvenirs.

Je me souviens d’avoir subi, en 1954, avec les gamins baha’is de ma classe, des maltraitances similaires de la part de notre professeur d’instruction religieuse.

Je me souviens de ce que racontait ma mère. A vingt ans, dans les années trente, cette institutrice, grande jeune femme épanouie, a failli être vitriolée, pour s’être promenée sans voile dans le bazar de Téhéran. Les femmes votaient dans la communauté baha’ie dès avant la Première guerre.

Je me souviens qu’en 1981, le Dr Manoutcher Hakim, professeur à la faculté de médecine de Téhéran, célèbre médecin des pauvres et baha’i, a été assassiné. Les autorités se sont empressées … de confisquer tous ses biens et ceux de son épouse française.

Je me souviens qu’au milieu des années quatre-vingt, le cimetière baha’i de Téhéran, où reposaient de nombreux membres de ma famille, a été profané, puis passé au bulldozer.

Aujourd’hui, les persécutions infligées aux enfants et aux adultes baha’is se perpétuent et s’aggravent. Depuis un siècle et demi, chaque fois que les dirigeants iraniens sont en difficulté, ils s’en prennent à leur bouc émissaire habituel, érigé en ennemi intérieur : la communauté baha’ie. Même si sous le régime islamique comme au temps de la monarchie, les baha’is «n’existent pas», n’apparaissent dans aucune statistique et que les autorités ne les mentionnent que par «secte des égarés».

Les baha’is sont six à dix millions à travers le monde, dont seulement cinq cent mille d’origine iranienne. Désormais enraciné dans les cinq continents, le baha’isme n’est plus une affaire irano-iranienne. Ce que le régime islamique a du mal à admettre qui pense tuer dans l’œuf cette révélation, en persécutant ses nationaux.

Mais qui sont les baha’is et que leur reproche-t-on ? En quoi et pour qui leur message est-il insupportable ? Pourquoi le clergé iranien persiste-t-il à persécuter les fidèles de cette religion non-violente saluée par Léon Tolstoï, Gandhi, Romain Roland, Eléonore Roosevelt, Arnold Toynbee, Bertrand Russel ?

La foi baha’ie est une religion née après l’islam. Y croire est considéré par la majorité des théologiens musulmans comme inacceptable et, par le clergé chiite, comme un crime d’hérésie et d’apostasie. Nombre de principes baha’is leur sont irrecevables : la croyance en un Dieu bon, la recherche individuelle de la vérité et le refus de tout clergé, l’éloge de la non-violence, l’égalité des droits de la femme et de l’homme, la science comme pilier de la vie du croyant, la vision internationaliste des affaires publiques, la démocratie interne.

La communauté baha’ie est le seul groupe de cette envergure en Iran organisé de façon démocratique, avec des élections annuelles, sans candidature, sans dirigeants permanents, sans chef, ni clergé. Il faudrait dire « était » organisé, car à deux reprises, ses dirigeants élus, parmi lesquels plusieurs femmes, ont été enlevés, puis exécutés clandestinement au début de la Révolution islamique. Depuis, il leur est interdit d’organiser des élections internes.

Dans la Perse rétrograde du milieu du XIXème siècle, le babisme, précurseur du baha’isme, proposait une réforme radicale des mœurs politiques, religieuses et sociales du Moyen-Orient. Contre les babis, a réaction du clergé chiite et de son bras séculier, le pouvoir impérial, a été si sanglante que des diplomates occidentaux, pourtant habitués à la cruauté des Qadjars (1798-1925), avaient dû s’en mêler, pour sauver des vies.

La figure la plus exceptionnelle du mouvement babi est la poétesse Tahéreh-Qorratol’Aïn (1817-1852). Théologienne, elle enseigne sans se voiler, écrit des poèmes d’amour, prend la défense des femmes, apprend à lire à nombre d’entre elles, annonce à son mari qu’elle le répudie puis le quitte, tient tête à sa famille, au clergé et au pouvoir impérial. Pour faire taire à jamais cette dangereuse hérétique devenue célèbre, Nasser-Eddine Chah la fait étrangler en août 1852, après une fatwa des théologiens de la Cour .

Baha’u’llah (1817-1892) prend à son compte une grande partie des enseignements du Bab et fonde une religion nouvelle à vocation mondiale, le bahaïsme. Il allie les réformes politiques et sociales à un renouveau de l’humanité dans la spiritualité. Emprisonné, torturé il meurt en exil. Les baha’is résument son message temporel par : « La Terre n’est qu’un seul pays et tous les humains en sont les citoyens ».
Les persécutions contre les baha’is continuent au XXème siècle. Ils n’ont jamais eu le droit de vote, leur mariage n’est pas enregistré si bien que tout enfant baha’i est considéré comme bâtard et à ce titre exclu de l’héritage.

Les deux monarques de la dynastie pahlavie (1925-1979) n’ont jamais mené de politique définie vis-à-vis des baha’is. En fait cette communauté leur a servie de monnaie d’échange dans leur relation au clergé. Dans ce bras de fer, parfois ils ont tenu tête aux mollas pour moderniser le pays, à d’autres moments, ils ont cédé devant leurs outrances conservatrices et répressives. A chaque crise politique, ils leur ont jeté les baha’is en pâture.

En 1934, dans un pays sous-équipé en établissements scolaires, le gouvernement de Réza Chah (1925-1941) fait fermer des dizaines d’écoles et lycées administrés par les baha’is, laissant sans scolarité des milliers d’élèves de toutes origines.

Au début des années 1950, sous le règne de Mohammad Réza Chah (1941-1979) les services secrets impériaux organisent l’émergence d’un groupe extrémiste fanatique : le Hodjatieh, dit « Association pour l’éradication du bahaisme ». Ce groupe politico-religieux sera la pépinière de nombreux dirigeants de la République islamique, dont le président Mahmoud Ahmadinejad.

Au printemps 1955, une campagne de haine à la radio d’Etat, dans les journaux et au Parlement donne le signal et encourage les violences contre les baha’is : les fonctionnaires sont exclus des administrations, l’Etat confisque ou détruit des biens, des foules pillent, tuent, et restent impunies. Cette campagne orchestrée en pleine guerre froide, a pour but d’acheter le silence du clergé, au moment de la signature du Pacte de Bagdad et des accords déshonorants avec les Consortiums pétroliers internationaux.

Dans l’Iran de l’époque, on accuse les baha’is d’apostasie, de trahison et d’inféodation à la Russie communiste et athée (on feint d’oublier que Staline a anéanti la communauté baha’ie de l’URSS dans les années 30). On y ajoute, bien sûr, un cortège d’accusations de sorcellerie ou d’ordre sexuel… comme au temps de la Sainte Inquisition. La monarchie organise les mêmes diversions, en 1963, au cours de la première révolte khomeyniste, puis en 1967, enfin en 1978 au début des événements qui devaient aboutir à sa chute.

En 1979, arrive au pouvoir le groupe de pression le plus riche (avec les biens des fondations religieuses et des sanctuaires), le plus puissant et le plus conservateur de la scène politique iranienne, le clergé chiite qui se caractérise majoritairement par sa haine de la science, de l’art et de la culture, de la pensée, de l’intelligence, du questionnement, de la modernité, et par-dessus tout de la jeunesse, de la féminité et de l’innovation religieuse. A un régime impérial casqué et botté, mégalomane et nationaliste succède un régime enturbanné, xénophobe, misogyne, encore plus répressif. Au sommet de l’Etat, un prêtre-empereur, le Guide Suprême, prétend parler au nom de Dieu et concentre entre ses mains tous les pouvoirs.

Le pouvoir iranien islamiste persécute aujourd’hui, à des degrés divers, tout ce qui est différent de lui, paraît le contester ou lui désobéir, en particulier les minorités ethniques et religieuses (les zoroastriens, les juifs et les chrétiens, dits gens du Livre, citoyens de seconde zone) y compris les musulmans sunnites et soufis. Il est l’exécuteur des basses œuvres d’un dieu terrible, vengeur et répressif, et s’appuie sur une légion d’hommes et de femmes, police politique ou des mœurs, qui opère à travers le pays contre tout ce que les autorités considèrent comme déviant. Il emprisonne, mutile, torture, lapide et exécute, le plus souvent après des procès expéditifs. La censure englobe toute la vie intellectuelle et s’étend même aux chefs d’œuvre de la littérature persane classique.

Avec la République islamique, la persécution des baha’is prend de l’ampleur et change de nature. Le clergé chiite tente ce qu’il n’avait pu faire sous les dynasties impériales : le nettoyage religieux de l’Iran.

Comme la majorité des gens du Livre ont quitté le pays, il ne reste plus qu’à réduire au silence les baha’is ou faire pression pour les convertir à l’islam, y compris ceux qui sont d’origine zoroastrienne, juive ou chrétienne.

Depuis trois décennies, le pouvoir politico-religieux en place a émis de nombreux édits de persécutions. Publiques ou secrètes, ces fatwas laissent le champ libre à des femmes ou des hommes de mains.

Enlèvements, disparitions et exécutions des intellectuels et des responsables élus de la communauté, viols de prisonnières avant d’en exécuter certaines, autodafés de livres, spoliations massives des biens, expulsions des emplois publics, interdiction de les embaucher et de commercer avec eux, tel a été le lot des baha’is. Leurs lieux historiques ou sacrés sont détruits, régulièrement les cimetières sont profanés ou passés au bulldozer, des maisons sont incendiées. On accuse les baha’is d’être à la solde de l’étranger, pêle-mêle le Russe, l’Anglais, l’Américain ou l’Israélien, selon l’humeur du moment.

Aujourd’hui plus qu’hier, les enfants de familles baha’ies subissent des brimades dans les écoles primaires et secondaires, quand on accepte de les y inscrire. Depuis plus de deux décennies, l’accès à l’enseignement supérieur leur est, dans les faits, interdit. On imagine l’ampleur du drame, dans une communauté qui valorise le savoir et la science. Alors, ces militants de la connaissance ont mis en place une université souterraine : l’Institut baha’i d’études supérieures. Grâce à des enseignants locaux, baha’is ou non, et à un réseau mondial relié par Internet, avec l’aide d’universités de pays démocratiques qui valident les enseignements, quelques centaines de jeunes femmes et hommes arrivent, tous les ans, de haute lutte, à acquérir des diplômes. Les autorités harcèlent régulièrement cette université de l’ombre, arrêtent des enseignants et des étudiants ou confisquent le matériel éducatif. L’un des principaux animateurs de cette université, Bahman Samandari, a été exécuté au début des années 90.

A ce qui précède, il faut ajouter un désastre, propre à l’Iran : depuis longtemps, le silence, voire une étonnante adhésion de la très grande majorité des élites intellectuelles à cette persécution. Depuis un siècle et demi, rares sont les lettrés qui, bravant le pouvoir clérical, ont pris la défense des baha’is. Ils occultent les apports majeurs, à la culture du pays, de cette minorité qui dès le XIXème siècle a ouvert des écoles modernes à travers tout le pays, instruit des milliers de femmes, donné l’exemple de la démocratie.

Parmi les politiques, le Docteur Mossadegh, Premier ministre dans les années 1951-53 – renversé par le coup d’Etat de la CIA – est un des rares qui ait refusé de persécuter les baha’is pour s’attirer les bonnes grâces des fanatiques religieux, des nationalistes conservateurs et des fascistes. Les intellectuels iraniens dans leur majorité n’ont pas pris la défense des baha’is, ils ont même contribué, un temps, à vendre aux pays démocratiques, cette révolution théocratique rétrograde.

Heureusement, grâce aux militants défenseurs des droits humains, les choses changent. A présent des intellectuels iraniens s’intéressent publiquement au sort des baha’is. A l’intérieur comme à l’extérieur du pays, ils colportent de moins en moins, les calomnies anti-baha’is que les mollas continuent de proclamer comme des certitudes.

Si la maturité et l’honneur d’une société se mesurent à l’aune de sa capacité à accepter, ses minorités et ses marginaux – ici, les malades mentaux, les vieillards, les démunis, les étrangers, les réfugiés, là-bas, les non-conformistes, les minorités ethniques et religieuses, les femmes – à respecter la dignité et à protéger ceux qui sont différents, la République islamique de l’Iran a du chemin à faire.

L’Iran et les Iraniens courent un grave danger à cause des provocations de leurs dirigeants. Les idéologues du régime, partisans du « viva la muerte » de triste mémoire, prônent une pensée de haine de soi et d’autodestruction, qui tantôt pousse au martyr, tantôt à la destruction de l’autre différent, ennemi réel ou inventé.

Face à eux, les croisés de l’Occident ravis de l’aubaine, mettent à jour leurs théories ineptes de « choc des civilisations », attisent les antagonismes et réveillent les réflexes nationalistes d’une population démunie qui a perdu ses repères.

Alors il ne faut pas s’étonner de voir les Iraniens se ranger derrière leurs dirigeants qui, pourtant les oppressent. Les éléments les plus fragiles de la nation, femmes, humanistes, étudiants, intellectuels, démocrates, minorités, risquent de faire les frais de cette confrontation internationale.

Depuis un an, la répression reprend une ampleur inquiétante, des slogans antisémites prennent forme. Contre les baha’is, les procès collectifs, les arrestations arbitraires, les agressions reprennent, en même temps qu’une propagande diffamatoire, à grande échelle, est diffusée dans les médias.

Dernièrement, l’armée, la milice des Pasdarans, les services secrets, ont reçu l’ordre du Guide Suprême de recenser tous les baha’is, « sans oublier les enfants ».

Foad S., Natif de Téhéran, Médecin-psychiatre à Paris

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